Le pari de Boris Johnson consiste à masquer les coûts du Brexit pour les imputer à l’épidémie.
Le Royaume-Uni acquitte un prix très élevé pour la gestion erratique de l’épidémie de Covid-19 par Boris Johnson. Alors que le pays a été touché après l’Europe continentale et pouvait bénéficier de son expérience, il déplore 42 000 morts. Et ce en raison d’un confinement tardif, décidé le 23 mars seulement par le Premier ministre, qui fut très proche de compter parmi les victimes de sa négligence. Selon le Pr Neil Ferguson de l’Imperial College, l’application du confinement une semaine plus tôt aurait en effet réduit de moitié le nombre de décès. Le redémarrage de l’activité est tout aussi lent et chaotique, à l’image de l’annonce de la réouverture des commerces non essentiels, des lieux de culte, des zoos et des parcs d’attractions le 15 juin, tout en maintenant les écoles fermées, ou encore en imposant la quatorzaine à toute personne arrivant sur le sol britannique.
Mais sous l’épidémie progresse, à grands pas, un autre choc qui atteindra l’Europe autant que le Royaume-Uni : le Brexit. La ligne de Boris Johnson est, dans ce domaine, aussi ferme qu’elle est fluctuante face au Covid-19. En mai, ont été votés le nouveau système d’immigration et le futur régime douanier. Dans le même temps, Michel Barnier prenait acte du blocage complet des négociations sur le cadre des relations commerciales, la pêche, le règlement des différends ou la coopération policière et judiciaire. Enfin, le 12 juin, Londres, en dépit des protestations de l’Écosse et du pays de Galles, a notifié son refus de l’extension de la période de transition au-delà du 31 décembre 2020 alors qu’elle pouvait être reportée jusqu’à fin 2022. La conclusion est claire : le Royaume-Uni se dirige vers un Brexit sans accord au 31 décembre 2020, et ce alors que, du propre aveu du gouvernement britannique, aussi bien les services des douanes que les entreprises seront dans l’incapacité d’appliquer le nouveau régime douanier avant la mi-2021.
Les conséquences pour le Royaume-Uni comme pour l’Europe seront très lourdes. L’économie britannique va subir un nouveau choc au moment où elle se trouve dans un état critique. La récession devrait atteindre 11,5 % du PIB en 2020, notamment en raison du poids des services qui représentent 80 % de la production. Le chômage touchera durablement plus de 10 % de la population active. Les mesures de chômage partiel, de soutien des entreprises et de relance provoqueront une explosion du déficit public à 17 % du PIB – soit plus du double qu’en 2009 –, avec à la clé une envolée de la dette de 79 à 100 % du PIB. Dans ce contexte, la déstabilisation des relations commerciales avec l’Union, qui absorbe 47 % des exportations britanniques, donnera le coup de grâce à une économie isolée et vulnérable.
La secousse sera également forte pour l’Union, alors même que l’Europe est le continent le plus touché par la crise sanitaire et économique. Elle interfère avec les négociations sur le plan de relance européen et l’affectation des 750 milliards de dépenses nouvelles. L’Irlande et la Belgique, très exposées au Brexit, demandent que ses conséquences soient prises en compte au même titre que les pertes liées à l’épidémie. Par ailleurs, contrairement aux promesses initiales, le Brexit pourrait affecter le domaine de la sécurité, pour lequel Londres entend privilégier un strict bilatéralisme, incompatible avec le maintien de la coopération dans les domaines clés du renseignement, de la police et de la défense.
Plus l’épidémie souligne les contradictions du Brexit, plus elle conduit Boris Johnson a en accélérer et en durcir la mise en œuvre. Il est aberrant d’ajouter, la même année, à la récession historique provoquée par le Covid-19 une autre récession, purement politique, liée au Brexit. Le pari cynique de Boris Johnson consiste aujourd’hui à en masquer les coûts pour les imputer à l’épidémie.
(Article paru dans Le Point du 18 juin)